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Du spirituel dans l’art
Un texte de François Salmeron, journaliste et critique d’art membre de l’AICA-France

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L’art est-il un vecteur d’émotions – et plus spécifiquement, de nos émotions les plus profondes ? Par exemple, d’un sentiment de plénitude ou de sublime dont l’œuvre serait le signe, le catalyseur ou le déclencheur ? Telle est l’expé- rience fondatrice dont Ji Seo nous fait part, lors de sa rencontre avec les vibrants monochromes de Mark Rothko. L’art nous ouvre-t-il également la voie du souvenir, à travers les sensations et les images qu’il ranime en nous, comme s’il était le levier d’une réminiscence ? En somme, l’œuvre est-elle intimement liée à nos états d’âme, ou à un certain état d’esprit chez celui qui la produit ou la contemple ? D’après Ji Seo, l’art ne peut se comprendre sans la part émotive, existentielle, voire éthique, qui la sous-tend, et sans la fine attention qu’il appelle envers notre environnement et notre propre intériorité.

Une esthétique émotiviste

« Depuis que j’ai rencontré l’art, je me suis intéressée à la relation émotionnelle qui existe entre l’œuvre et le spectateur. Mes projets se focalisent sur le côté affectif que le public ressent face à l’art », glisse Ji Seo. Sa pratique se rattache ainsi à une conception émotiviste ou sentimentaliste de l’art: c’est le sentiment que l’œuvre éveille en nous qui sert de trait d’union entre l’art et son public. Le jugement esthétique se fonde sur un sentiment propre au sujet regardant, et l’émotion est première dans notre rapport à l’art, tel que le soutient la philosophie empiriste de David Hume1. La beauté des œuvres – et du monde – se trouve avant tout dans notre regard, et l’esthétique renoue avec son sens pre- mier de « perception sensible »2.
« Mon travail s’appuie sur les souvenirs d’un moment particulier, sur des expériences méditatives inspirées par des lieux qui font partie de mon quotidien », poursuit l’artiste. Au-delà du lien entre l’œuvre et le spectateur, entendu comme un récepteur qui réagit émotionnellement à ce qu’il perçoit, Ji Seo pense sa pratique comme un acte de réminiscence. Tout se passe comme si l’œuvre était le déclencheur de souvenirs fugaces, de sensations intimes ou enfouies. Elle nous renvoie vers notre intériorité, et vers une forme de méditation qui n’a pourtant rien d’une prière ou d’un rituel religieux, mais qui désigne davantage un certain « état d’esprit », une certaine « disposition de soi », que les Grecs ap- pelaient hexis3. En somme, l’art demeure indissociable d’un éveil spirituel : l’acte de création ne peut s’accomplir sans lui – il en est la condition de possibilité. L’art relève donc d’une attitude philosophique, dans notre manière de prendre en compte nos sensations, nos émotions, nos souvenirs, et de considérer notre quotidien, notre environnement, ainsi que la place que nous y occupons.

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1 David Hume, Essais esthétiques, « De la Norme du goût », Flammarion, Paris, 2000.
2 Soit le concept d’aisthèsis chez les Grecs.
3 Aristote, Topiques, « Organon V », Vrin, Paris, 2004.

Habiter le temps présent

A cet égard, l’œuvre de Ji Seo nous renvoie aux positions du maître coréen Lee Ufan. Car si Ji Seo parle d’une « ap- proche méditative de la vie, de la nature et du temps » à propos de ses installations, la pratique de Lee Ufan engage notre « être-au-monde » à « habiter le temps », et à redécouvrir « le sentiment de l’espace »4. Ce qui se trouve en jeu, c’est une authentique philosophie de l’hic et nunc, soit un esprit éveillé, conscient de se situer ici et maintenant. Il s’agit de « se lier au présent », de s’y ancrer, et de « se concentrer sur ce que l’on fait présentement » selon Ji Seo... Plutôt que de se projeter dans des tâches futures qui nous feront manquer ce qui est là, sous nos yeux, actuellement. L’art se comprend comme une éthique de l’attention, qui reconsidère et révèle ce que l’on ne savait plus percevoir : on corrige notre myopie, on aiguise notre perception, on réapprend à ressentir les battements de la vie dans ce qu’elle comporte de plus banal, ténu ou indiscernable. L’art nécessite en cela un « esprit de finesse »5 ou une « finesse du goût »6.
Or jusque-là, nous manquons peut-être l’essentiel: comment s’éveillent concrètement nos émotions et notre conscience de l’hic et nunc ? A travers des « environnements » constitués d’« éléments cueillis dans la nature »7 : calcaire et quartz ramenés lors de promenades – puis redonnés à la nature. A travers des monochromes imitant les couleurs de la pierre, et des tissus enduits d’huile végétale, ou trempés dans des teintures naturelles de feuilles de figuier et d’oi- gnons. C’est ainsi que se créent des paysages capables d’accueillir le mouvement et la lumière. Les courants d’air font danser un papier bleu suspendu à un fil : « Le vent est la métaphore de l’extérieur, de ce qui intervient sur l’être humain, et que l’on ne maîtrise pas »8. Des aquariums diaphanes, des plateaux argentés ou des feuilles cuivrées, renvoient des cou- leurs irisées dans l’espace d’exposition. L’ensemble confère à l’œuvre de Ji Seo un aspect minimal, parfois « pauvre », toujours épuré, capable de susciter des expériences sensorielles fondamentales pour notre corps et notre psyché.

Une expérience intersubjective

L’esthétique de Ji Seo me semble ainsi indissociable d’une éthique, où l’art appelle une certaine qualité de vie – soit une manière de vivre ou une attitude philosophique ancrée dans l’ici et maintenant. C’est une éthique du temps pré- sent, et de la place que nous y occupons. Si l’art a un fondement éthique, c’est aussi dans la qualité du regard qui le sous-tend, et l’attention donnée aux choses dans leur quotidienneté. Enfin, si l’art « éveille des sentiments » selon Ji Seo, il tisse des liens entre sujet percevant et objet environnant, tout en révélant notre nature sensible.
L’œuvre de Ji Seo engage également un dialogue avec ses spectateurs, et l’on parlera à cet égard d’une esthétique de l’intersubjectivité9. Des mots, des questions ou des partitions écrites, sont déposés à leur attention dans l’espace d’exposition : « Quelle est votre méthode de méditation ? », « Comment aimeriez-vous passer votre vie ? ». Soit autant d’intitulés soulignant qu’éthique et esthétique s’accompagnent mutuellement. A chacun d’apporter ses réponses... Le partage et la mise en connexion entre l’œuvre, l’artiste et le spectateur, passent donc par la perception et les émotions que l’œuvre fait naître en nous, mais aussi par l’expression d’états d’âme qui se rendent communicables à autrui : nos sentiments s’avèrent alors universalisables. Il n’y a aucun solipsisme...

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4 Michel Enrici, Lee Ufan, exposition personnelle à la galerie kamel mennour, Paris, novembre 2013.
5 Blaise Pascal, De l’esprit de géométrie, Flammarion, Paris, 1993.
6 David Hume, Ibid.
7 Michel Enrici, Ibid.
8 Michel Enrici, Ibid.
9 Emmanuel Kant, Critique de la Faculté de Juger, § 40 « Le goût comme sensus communis », Gallimard, Paris, 1989.

François Salmeron

Critique d’art membre de l’AICA-France (Association internationale des critiques d’art)
Chargé de cours aux Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Paris 8 Saint-Denis
Co-directeur de la Biennale de l’Image Tangible, Paris

25.11.2022. Texte sur l’oeuvre de Ji Seo, « Du spirituel dans l’art ». Résidence Horizon. Maisons Daura, Centre d’Art Georges et Claude Pompidou



Artist statement
february 2022

I share my meditative experience with the public
It runs through both my daily life routine and my art practice. In my work I try to bring a thought to the existence and value of things, in space and time. Nature is the catalyst of my work. This is part of my deep reflections on the psychological and emotional aspects mainly related to the world around me. When I concentrate on my research, I do so with an empty mind.

I could define my work as multidisciplinary with the use of different mediums that could complement to my research.
My current work is inspired by memories of particular moments that took place during meditative experiences inspired by places that are part of my daily life.

I mainly create an installation in which I assemble different elements with which I create spaces, an environment, inspired by my experiences. My creations can use different sensory elements such as sounds, smells and light to convey memories inspired by everyday places and nature. My installations include painting, sculpture and video in a unique environment.
My work aspires to be a place of encounter and reflection between the artist, the audience and the work.

Démarche artistique
février 2022
Je partage mon expérience méditative avec le public. Celle-ci traverse à la fois ma vie quotidienne et ma pratique artistique. Dans mon travail, j’essaye d'apporter une pensée à l'existence et à la valeur des choses, dans l'espace et le temps.
La nature est le catalyseur de mon travail. Celui-ci est parti de mes réflexions profondes sur les aspects psychologiques et émotionnels, essentiellement liées au monde autour de moi.
Lorsque je me concentre sur mes recherches, je le fais l’esprit vide.
Je peux définir mon art de pluridisciplinaire avec l'utilisation de différents médiums qui pourraient complémenter mes recherches. Mon travail en cours s’inspire de souvenirs particuliers ayant eu lieu lors d’expériences méditatives inspirées par des endroits qui font partie de mon quotidien.

Je réalise principalement des installations dans lesquelles j’assemble différents éléments créant ainsi des espaces et un environnement inspirés par mon vécu. Mes créations peuvent faire appel à différents éléments sensoriels tels que les sons, les odeurs et la lumière afin de transmettre des souvenirs inspirés par des lieux du quotidien et la nature. Mes installations comprennent comme médiums la peinture, la sculpture et la vidéo dans un environnement unique.
Mon travail aspire à être un espace de rencontre et de réflexion entre l'artiste, le public et l’œuvre.